vendredi 28 novembre 2008

« Le plan de Barack Obama pour fermer Guantánamo » … en juillet 2010

...Si tout va bien...
par Michel PORCHERON, 28/11/2008

« Le 20 juillet 2010 », si tout va bien


La question de la fermeture du centre de détention de Guantánamo Bay est désormais dépassée. Le centre de sinistre réputation, ouvert fin 2001, sera bien fermé, mais l’affaire est loin d’être simple en raison d’un ensemble complexe d’obstacles, de difficultés, de problèmes juridiques ou encore d’incertitudes à partir d’interrogations posées, qui n’ont actuellement pas de réponses, ni à court ou moyen terme. Cette affaire fait partie « des plus lourds fardeaux légués par le gouvernement Bush » (Dan Ephron, Newsweek). « Le centre de détention à partir duquel s’est développé un système compliqué spécifique de justice d’exception, pose une infinité (un sinfín) de problèmes » (Mónica C.Belaza, Washington pour El Pais, 22 novembre 2008).


Quelque 255 détenus sur les 778 qui y sont passés sont toujours emprisonnés, pour certains depuis plus de six ans et sans avoir été jugés. Les autres ont été relâchés sans avoir été jugés ou rapatriés, et ce depuis mai 2002. Seulement trois détenus ont fait l'objet d'une procédure judiciaire jusqu'à présent et vingt-trois autres sont inculpés pour « crimes de guerre ».


Le président élu des USA, Barack Obama a confirmé dimanche 16 novembre sur la chaîne CBS sa volonté de fermer la prison de Guantánamo , ce qui devrait être une réalité prioritaire au lendemain (mais quand ?) de son investiture le 20 janvier prochain. Barack Obama pourrait faire de la fin de Guantánamo l’amorce d’une refonte de toute la politique pénale antiterroriste. «J'ai dit plusieurs fois que je voulais fermer Guantánamo , et je vais m'y tenir», a-t-il déclaré lors de son premier entretien télévisé depuis son élection le 4 novembre. Il a promis à plusieurs reprises pendant sa campagne de fermer le centre de détention, symbole des excès de «la guerre contre le terrorisme» menée par George W. Bush et critiqué par la communauté internationale. Par ailleurs, Obama a également confirmé qu'il entendait donner un coup d'arrêt à la torture comme méthode d'interrogation par l'armée usaméricaine: «J'ai dit plusieurs fois que l'Amérique ne torture pas. Et je vais m'assurer que nous ne torturons pas.» La fermeture de Guantánamo et l'arrêt de la torture, a ajouté Obama, «font partie d'un effort pour permettre à l'Amérique de retrouver son rang sur le plan moral».


Contre tous les principes de la justice usaméricaine, des hommes sont détenus pour une durée illimitée sans aucun chef d'inculpation. Simplement déclarés «combattants ennemis» par un tribunal militaire, ils ne disposent que depuis juin d'une possibilité réelle de recours devant un tribunal fédéral. Fermer la prison de Guantánamo , selon l’AFP, s'annonce une tâche des plus délicates pour le nouveau président, qui devra trouver une solution pour ces détenus qualifiés de «pires terroristes» par l'administration sortante et que personne, ni aux USA ni à l'étranger, ne s'empresse d'accueillir.


Avant d’aborder la question de cette fermeture, les récentes informations (quatre) sur Gitmo et ses premiers procès donnent un aperçu des obstacles qui attendent la future administration démocrate.


- L’ancien chauffeur d’Oussama ben Laden, Salim Ahmed Hamdan, détenu depuis 7 ans et premier condamné par un tribunal militaire d’exception, est « attendu au Yémen dans la semaine », a annoncé le gouvernement de ce pays. De « complexes » négociations ont permis le transfert de cet homme qui doit encore purger un mois de prison. Il avait été condamné en août à cinq ans et demi de prison pour « soutien matériel au terrorisme ».


- Un juge a ordonné la libération de cinq Algériens. Pour la deuxième fois depuis la décision de la Cour suprême fin juin rétablissant l'habeas corpus pour les prisonniers de Guantánamo , un juge civil a ordonné, jeu­di 20 novembre, la libération de détenus. Le juge fédéral Richard Leon était saisi du cas de six Algériens, Lakhdar Boume­diene, 42 ans, Mustafa Aït Idir, 38 ans, Mohamed Nechla, 40 ans, Hadji Boudel­la, 43 ans, Saber Lahmar, 39 ans, et Belka­cem Bensayah, 46 ans. Ils avaient été kidnappés en Bosnie en 2001 et transférés à Guantánamo début 2002. Le magistrat a ordon­né la libération des cinq premiers. Il a esti­mé que le gouvernement n'avait pas réus­si à prouver la qualification d'« ennemis combattants » qu’il leur appliquait. Concernant Belkacem Bensayah, il a en revanche estimé qu'il était « probable » qu'il ait prévu de se rendre en Afghanis­tan pour y prendre les armes contre les for­ces usaméricaines, apportant un « soutien direct » à Al Qaida.


Le juge a rendu sa décision à l'issue d'un procès qui a duré sept jours, dont six à huis clos. Le verdict a été rendu en public au tribunal de Washington. Les détenus algériens ont pu l'entendre en direct depuis Guantánamo .


C'est la première fois qu'un juge se prononce sur la validité de la qualification d'ennemi combattant. Le 7 octobre, un autre juge, Ricardo Urbina, avait déjà ordonné la mise en liberté de 17 Ouïgours, mais ceux-­ci n'étaient plus considérés comme des ennemis combattants par le Pentagone. Les 17 Ouïgours sont toujours en déten­tion, le gouvernement ayant fait appel. Il est vraisemblable que le sort des Algé­riens ne changera pas davantage. Les juges sont en droit d'ordonner la libéra­tion des prisonniers, mais il revient à l'ar­mée d'organiser leur libération. A moins de deux mois de la fin de son mandat, le président George Bush n'a pas l'intention de prendre la responsabilité de libérer des hommes que l'armée juge susceptibles de retourner au combat et de tuer des sol­dats usaméricains.



Ammer, Wiener Zeitung, Autriche


Quelque 150 dossiers sont encore sur les bureaux de la quinzaine de juges de la cour fédérale de Washington autorisés à exami­ner les plaintes des détenus de Guantánamo par la dernière décision de la Cour suprême. Celle-ci a étendu les garanties constitutionnelles américaines à la base de Guantánamo , contredisant l'opinion de l'administration Bush, pour qui il s'agit d'une zone de flou juridique (source Le quotidien Le Monde).


- C’est le 27 janvier prochain que les six Français ex-détenus à Guantánamo connaitront le jugement de la Cour d’appel de Paris. Cinq d’entre eux avaient été condamnés en première instance fin 2007 à 5 ans de prison – dont quatre avec sursis - pour leurs activités au sein de la mouvance ben Laden. Khaled Ben Mustapha, l’un des prévenus, en a profité pour déposer une nouvelle plainte contre X pour « enlèvement et séquestration arbitraires ».


- Ali Hamza Ahmad Al Bahlul, un Yéménite accusé d'être le propagandiste d'Oussama Ben Laden, a été condamné à la prison à vie par un tri­bunal militaire d'exception, composé de neuf officiers usaméricains, sur la base de Guantánamo , après avoir été reconnu coupa­ble de « complot avec Oussama Ben Laden, et d'autres, pour assassiner des per­sonnes protégées, attaquer des civils et com­mettre d'autres crimes » de terrorisme, a indiqué, lundi 3 novembre, un porte-­parole du Pentagone. L'accusé, âgé de 39 ans, a également été reconnu coupa­ble d'« incitation à des actes de terrorisme [et de] soutien matériel au terrorisme ». Ali Hamza Ahmad Al Bahlul a été l'un des premiers à arriver à Guantánamo , début 2002, et à être inculpé. Il s'agit du deuxième procès (le premier étant celui du chauffeur Hamdan) d'un détenu de Guantánamo devant une commission militaire, une procédure jamais vue depuis la seconde guerre mondiale. Celle-ci a fait l'objet de multiples critiques de la part des avocats de la défense, tant militaires que civils, mais aussi des associations de défense des droits de l'homme. L’accusé et son avocat militaire usaméricain sont restés silencieux pendant tout le procès, en signe de protestation. Les interrogateurs ont témoigné que l’inculpé avait rédigé le script des testaments filmés de deux pirates de l’air du 11 septembre, Mohamed Atta et Ziad Al Jarrah, qui étaient ses colocataires à Kandahar, en Afghanistan (source : agences).


Ken Gude, le « Monsieur Guantánamo » de Barack Obama


Le quotidien français Libération a publié le mercredi 26 novembre 2008 une double page intitulée « Le plan d’Obama pour fermer Guantánamo » qui est un entretien avec Ken Gude, présenté comme étant l’expert qui a « élaboré pour le président élu le dispositif qui conduirait à la fermeture du centre de détention en juillet 2010 ». Ken Gude est membre d’un think tank (centre de réflexion) démocrate, le Center For American Progress (CFAP), l’un des plus importants de Washington, créé en 2003 et dirigé par John Podesta, ex-chef de cabinet de Bill Clinton, actuellement coprésident de l’équipe de transition de Barack Obama. Les propos de Ken Gude ont été recueillis par Philippe Grangereau, correspondant à Washington.



Barack Obama a chargé Ken Gude, spécialiste des questions de sécurité au CFAP, qui sert de vivier à la future administration démocrate, d’élaborer un plan détaillé pour fermer le centre de détention de Guantánamo en dix-huit mois.


« Ken Gude a toutes les chances d’être entendu », affirme Libération. Selon Gude, le dispositif mis au point conduirait à la fermeture de la prison de Guantánamo en juillet 2010, le 20 juillet 2010 pour être précis. « La première phase du plan débutera avec l’annonce d’une date de fermeture définitive en dix-huit mois - c’est-à-dire le 20 juillet 2010, si Obama fait cette annonce le 20 janvier 2009 même, le jour de son entrée en fonctions ».


Principaux extraits sur Guantánamo de l’entretien accordé par ce proche de Barack Obama, Ken Gude à Philippe Grangereau.

Comment fermer Guantánamo ? D’ici à juillet 2010, « il faudra transformer l’univers secret de Guantánamo en modèle de transparence, en y invitant des représentants de gouvernements et d’organisations internationales ». Le premier mois, il faudra établir trois catégories de prisonniers : « ceux qui seront inculpés d’activités criminelles, ceux qui doivent être libérés et ceux qui n’entrent pas dans ces deux catégories ».


Que faire des tribunaux militaires spéciaux mis en place par George W. Bush ?- Le président Obama devra les suspendre. Ce système a été conçu pour condamner et non pas pour rendre un jugement équitable.


Pendant cet examen des cas, les déclarations d’hier obtenues sous la torture seront-elles retenues ?- (...) Je considère que les informations obtenues sous la torture ne sont pas fiables, que cet a priori doit prévaloir et que donc, au final, il convient de les ignorer presque totalement. Dans les cas où un procès devant une cour fédérale est recommandé, il faudra que les preuves soient recevables et la manière dont le prisonnier a été traité sera un facteur à prendre en considération.


Où se dérouleront les procès ?- Les détenus seront traduits, selon les cas, devant un tribunal fédéral civil à New York ou à Washington s’ils sont accusés d’actes terroristes, ou bien devant une cour militaire régulière s’ils sont accusés d’actes visant l’armée américaine (...) Il s’agit de montrer qu’il est possible, contrairement à ce que dit l’administration Bush, de juger des détenus de Guantánamo devant une cour fédérale civile.



Kiro, Le Canard Enchaîné


Quels seront les problèmes les plus importants posés par la fermeture de Guantánamo ?- Le plus difficile sera de trouver une terre d’accueil pour ceux qui seront libérés. C’est pourquoi il faudra mettre en place un programme de réhabilitation et de réintégration, qui visera à convaincre des pays d’accueil de les prendre.


Les 17 Ouïghours seront-ils réimplantés aux Etats-Unis ?- Oui, je pense que l’administration Obama prendra cette décision. Ils ne sont plus considérés comme des «ennemis combattants illégaux». Leur libération a été ordonnée par un juge américain et la communauté ouïghoure américaine est prête à les accueillir et faciliter leur intégration. L’administration Bush a fait appel de la décision de ce juge en arguant qu’il n’a pas l’autorité de décider s’ils doivent être libérés sur le territoire américain. Mais il n’y a pas d’autre solution, car il est pratiquement impossible de leur trouver un autre pays d’accueil.


Cela ne va-t-il pas créer un précédent ?- C’est justement ce que cherche à éviter à tout prix l’administration Bush. L’administration Obama ne veut pas non plus créer de précédent judiciaire et c’est pourquoi elle va sans doute ordonner d’autorité leur libération, sans passer par un juge.


Combien y a-t-il maintenant de détenus à Guantánamo et quel est leur statut ? – Environ 250, et le dernier à être arrivé est, semble-t-il, un Kenyan capturé l’an dernier. L’administration Bush estime qu’environ 70 d’entre eux sont libérables, mais n’est pas parvenue à leur trouver un pays d’accueil. Une centaine de détenus sont yéménites et seuls quelques-uns sont accusés d’activités criminelles. Les autres pourraient tous être renvoyés au Yémen, si tant est qu’il existe un programme de réhabilitation ou une prison sûre.


Comment fonctionnerait un programme de réhabilitation ? - Le modèle est le programme de dé-radicalisation et de réintégration (...) Il s’agit essentiellement de se servir de religieux musulmans pour convaincre les détenus de rejeter la violence et l’islam radical. Un tel programme pourrait être réalisé à Guantánamo. Il ferait partie intégrante du processus de fermeture (...) L’administration Bush avait une définition incroyablement large (de la notion d’ « ennemis combattants ») l’administration Obama aura une définition plus étroite de ce statut. L’administration Obama établirait un mécanisme permettant de déterminer, aux termes de l’article 5 des Conventions de Genève, si ces personnes sont des «prisonniers de guerre» ou des «ennemis combattants illégaux».


Où seraient détenus ces derniers prisonniers de Guantánamo ?- En Afghanistan, où le gouvernement américain finance la construction d’une nouvelle prison. Cette prison serait placée sous l’autorité non pas des Etats-Unis, mais de l’Otan. Le choix de l’Afghanistan est logique, puisque c’est là que ces «ennemis combattants» ont été appréhendés. (c’est nous qui soulignons)


Où et comment seront détenus les suspects appréhendés à l’avenir ?- Le fait est qu’aujourd’hui, nous continuons de détenir des personnes liées au conflit en Afghanistan et au Pakistan. L’administration Obama va se trouver confrontée à cette question (...) Elle va devoir élaborer une définition précise de qui peut être légalement détenu.


Qui va prendre cette décision, les militaires sur le terrain ?- Non. Il faudra passer par un processus de détermination, aux termes de l’article 5 des Conventions de Genève, qui n’existe pas à l’heure actuelle.


Y aura-t-il une limite de temps à la détention d’un suspect ? - Les procédures seront certainement accélérées par rapport à ce qui se passe maintenant. Il ne faudra pas qu’il y ait, comme c’est le cas actuellement dans la prison de Bagram (Afghanistan), des gens détenus pendant des mois sans audience.


Quelle sera la décision la plus dure à prendre durant le processus de fermeture de Guantánamo ? C’est la question de savoir ce qu’on va faire des prisonniers qui ne peuvent pas être inculpés, qui n’entrent pas dans la définition d’«ennemis combattants», mais qu’on pense être dangereux. Certains ont suggéré de les emprisonner aux Etats-Unis, mais je ne pense pas que l’administration Obama adoptera cette solution, qui est à l’opposé de ses convictions. Il va donc falloir se résoudre à les relâcher, tout en sachant qu’il y a un risque. L’administration Bush dit qu’il y en a des dizaines, voire une centaine qui ont ce profil. En réalité, il y en aurait 10 ou 15.


Source : http://www.liberation.fr:80/monde/0101268839-le-plan-d-obama-pour-fermer-guant-namo


Arcadio, La Prensa, Panamá


En finir avec Gitmo, plus facile à dire qu’à faire


Bush lui-même et la plupart de ses ministres s’étaient déclarés favorables à une fermeture du centre de détention. Ces bonnes intentions sont restées au stade du vocabulaire. Un vœu pieux. Or Guantánamo était devenu synonyme de tous les maux dont sont porteurs les USA, avec ces temps derniers quelques améliorations matérielles dans la vie des détenus, c’est le moins que pouvait faire la Joint Task Force. Le tristement célèbre camp X-Ray, où des hommes enchaînés, les yeux bandés, étaient détenus dans des cages en grillage métallique sous le seul abri d'un toit plat, est à l'abandon, comme l’a écrit The Economist de Londres en novembre 2007, précisant alors que quelque 80 détenus pourraient être jugés pour crimes de guerre.


Le premier détenu condamné fut un Australien, David Hicks, qui écopa en mars 2006 de sept ans de prison pour terrorisme (il a plaidé coupable et purge aujourd'hui la fin de sa peine en Australie). Fin 2007, soit plus de six ans après la mise en place des commissions militaires, un seul autre détenu, le Canadien Omar Khadr, fut officiellement inculpé, début novembre. Le vrai tournant dans l’affaire de Guantánamo a été la décision de la Cour suprême d’accepter la requête en habeas corpus d'un prisonnier [procédure permettant à un détenu de contester la légalité de sa détention].


Une bataille au long cours


« Si les prisonniers sont auto­risés à contester leur détention pour une durée indéterminée devant des tri­bunaux civils américains, alors le cen­tre de détention de Guantánamo per­drait sa raison d'être, écrivait The Economist dans l’article déjà cité. C'est précisément parce que l'on pensait que cette par­celle de territoire cubain louée aux autorités de La Havane était hors d'at­teinte du droit américain et interna­tional qu'elle avait été choisie pour abriter « les ennemis combattants ».


Si techniquement, l'affaire n'est pas sim­ple, « quel que soit le prix de la surveillance à l'extérieur (des anciens de Guantánamo , plus radicalisés que jamais, jusqu’à être des kamikazes de demain), une démocratie digne de ce nom doit cesser de détenir des prisonniers sur une base juridique contraire au droit », a commenté pour le quotidien français Le Monde, Caroline Fourest (21 novembre 2008). Elle précise que des universitaires usaméricains ont propo­sé « une commission vérité. Le minimum serait que les responsables politiques d'une telle aberration, juridique et morale, rendent des comptes »


Pour Caroline Fourest, « le vocabulaire employé après le 11-Septembre est à l'image de la straté­gie choisie. L'administration Bush s'est crue au Far West face à des Indiens (...) En choisissant d'envahir l'Irak au mépris des conventions internationales, en ouvrant Guantánamo et en pratiquant la torture, elle est passée du statut de victime à celui du bourreau. Elle a cogné à bras raccourcis sur le symptôme (le terroris­me) sans pouvoir le faire disparaître, tout en nourrissant la propagande de sa matri­ce (l'idéologie intégriste) »


« C'est ce cercle infernal que l'élection de Barack Obama et son softpower donnent l'espoir de pouvoir inverser ». « L'état de grâce d'Obama ne durera pas éternellement. Après huit ans de passion (...) il est urgent de passer au sang ­froid et à l'efficacité »


Dans Newsweek de la seconde quinzaine de novembre 2008, Dan Ephron insiste pour dire qu’il « va falloir du temps et de l'imagination pour assainir ce bourbier carcéral créé par Bush et qui, en sept ans, a pris de l'ampleur ».


Pour Ephron -- dans son article, antérieur aux déclarations de Ken Gude-- quatre raisons majeures « laissent penser que le centre de détention sera probablement encore en activité dans un an », avançant des arguments que l’on retrouve dans l’analyse de Gude.


LE « FACTEUR YÉMÉNITE ». En effet, comme on l’a vu plus haut, la fermeture de Guantánamo implique le rapatriement de la majorité des quelque 255 prisonniers toujours détenus. « Avant de les renvoyer chez eux, il faudra négocier avec leur pays d'origine »Comme les Yéménites forment le groupe de prisonniers le plus important, « il faudra discuter avec Sanaa », souligne Ephron qui ajoute : « Or le Yémen a été l'interlocuteur le plus inflexible dans ce dossier », contrairement à l'Arabie Saoudite qui a gardé en prison certains « anciens » de Gitmo, restreint les déplacements d'autres et obligé ceux qu'elle pen­sait pouvoir réintégrer à suivre un programme de "déradicalisation ».


« Le Yemen ne veut pas donner l'impres­sion d'accéder à quelque demande que ce soit des USA", explique un ancien haut fonctionnaire cité par Ephron pour qui si le gouvernement de Barck Obama « consent à libérer certains pri­sonniers sans rien exiger de leur pays d'origine, cela se fera au détriment de la sécurité des USA».


LE « SYNDROME NIMBY » (Not in my backyard) [littéralement "pas dans mon jardin"]. Les USA, selon Newsweek, vont garder sous les verrous quelques dizaines de suspects qu'ils veulent juger ou qu'ils considèrent comme trop dangereux pour être libérés. La question est de savoir où. Selon un ancien membre du Pentagone une étude secrète réalisée en 2006 indique quelques possibilités sur le sol usaméricain, dont la prison militaire de Fort Leavenworth, au Kansas, et celle de Charleston, en Caroline du Sud. Mais les représentants de ces États ou d'autres régions dotées de centres de détention militaires ont déjà averti qu'ils s'opposeraient à tout projet en ce sens. « On a là un problème », explique Charles Stimson, qui était jusqu'à l'année dernière sous-secrétaire à la Défense chargé des détenus.


« MIRANDA » [règle de notification des droits aux détenus] est la troisième raison majeure avancée par Ephron : une fois trans­férés, les prisonniers déjà inculpés puis jugés soit par un tribunal pénal fédéral, soit par un tribunal militaire, pourraient faire valoir leurs droits de détenus, jusqu’à « compromettre la possibilité d’une condamnation », selon Morris Davis, ancien procureur général à Gitmo. « Rien, dit le journaliste usaméricain, ne garantit que les procès seraient gagnés, même contre des membres importants d’Al Qaida, comme le cerveau présumé des attentats du 11 sep­tembre, Khaled Cheikh Mohammed ».


Dan Ephron cite certains experts, comme Neal Katyal, professeur de droit à l'université de Georgetown, qui ont proposé de créer de nouvelles « cours de sécurité nationale » où les inculpés auraient davantage de droits que dans les commissions militaires, mais sans bénéficier de toutes les protections accordées habituelle­ment. « L'idée a suscité une contro­verse dans le monde judiciaire, mais ce pourrait être la seule solution viable pour remplacer les commissions militaires de Guantánamo, complètement discréditées ».


Dernier argument : « BAGRAM », sur le sort qui sera réservé aux nouveaux prisonniers dans le futur. « Des travaux d'agrandissement sont actuellement en cours dans le centre de détention situé sur la base aérienne de Bagram, en Afghanistan. Mais Bagram a la même réputation de sévices, de secret et de détention sans procès que Guantánamo ».


On sait que les organisations de défense des droits de l'homme considèrent le centre de détention de Bagram comme un second Guantánamo .


« Pour véritablement changer les choses, souligne Ephron, le nouveau gouvernement va devoir instaurer de nouvelles règles qui garantissent aux terroristes présumés un procès rapide et juste ». Les USA ont besoin d’un cadre « solide » pour traiter leur cas. Mais, conclut Ephron pour Newsweek, «ce ne sont pas les idées qui manquent. Mais en choisir une et bâtir une nouvelle structure autour d'elle demandera de l'autorité et du temps ».


La fermeture de Guantánamo devrait être concomitante du retrait des troupes US d’Irak, mais aussi de l’augmentation de celles engagées en Afghanistan, autre priorité annoncée par le président élu, s’appuyant sur deux hommes qui ont fait leurs preuves sous Bush, le général Petraeus, patron du CentCom US et Robert Gates, maintenu au Pentagone. A son actif sur les théâtres militaires, le réseau de « forces spéciales » et la contre-insurrection. Tout cela dans un nouveau contexte, de multilatéralisme et d’appui réel européen. Ce sont les souhaits, entre autres, du président élu.



Marino Degano


Bonus-malus :


Tradition de fin de mandat, le président sortant George W. Bush a gracié une quinzaine de condamnés anonymes, usant de son pouvoir discrétionnaire. Pas mal, non ? Très bien pour les susdits condamnés qui bénéficient d’une grâce bien frappée au coin Bush, puisque on ne trouve parmi eux que de petits poissons, tombés pour fraude fiscale, détournement de fonds, usage de pesticides contre une espèce protégée ou trafic de drogue. Bien connu pour avoir été prodigue de mesures y compris illégales pour mettre au pas la justice de son pays y compris la violer, Bush restera aussi comme le président US le plus avare de grâces et commutations de peines. Avec, jusqu’ici, un score de 171 purges de casiers judiciaires sur plus de 2000 demandes et 10 peines commuées sur 7000 requêtes (source : Le Figaro). Moitié moins que Clinton, moitié moins que ...Reagan.


Bush dans le même temps a été vraiment « sympa » avec quelques-uns de ses amis qui ont eu des démêlés avec la justice, comme Lewis «Scooter » Libby, ancien chef de cabinet du vice-président Cheney, condamné en 2007 pour « parjure et obstruction à la justice ». Deux affaires sont à suivre : celle d’un ancien représentant républicain de Californie, Randy Cunningham et celle de l’ex-gouverneur de Louisiane Edwin Edwards. « Mais la question qui plane sur les intentions de Bush, selon le correspondant à Washington du Figaro, Philippe Gélie, dépasse les cas individuels, mais concerne l'hypothèse d'une immunité générale qu'il pourrait accorder, sous forme de grâce préventive, à tous les acteurs de la lutte antiterroriste. En 2002, John Yoo, conseiller au département de la Justice, avait rédigé un mémo autorisant le sup­plice de l'eau (waterboarding), qui provoque une sensation de noyade et d'autres techniques violentes contre les suspects de terroris­me. La CIA a reconnu avoir fait usage de ces méthodes contre au moins trois détenus de Guantánamo. Certains élus démo­crates souhaitent ouvrir des enquêtes après l'accession d'Oba­ma au pouvoir ».








Le philosophe Michel Terestchenko dans
Du bon usage de la torture : Ou comment les démocraties justifient l’injustifiable, propose une réfutation serrée de tous les « arguments » fallacieux qui justifient l’usage de la torture (Editions La Découverte, coll. Cahiers libres, 15 €).


Présentation de l’éditeur : Depuis le 11 septembre 2001, la torture est devenue, aux Etats-Unis, une pratique d’Etat politiquement et juridiquement justifiée par la « guerre globale contre la terreur ». Mais on sait moins, en Europe, qu’elle y a également fait l’objet d’une légitimation morale : pour d’éminents penseurs américains, la torture serait un mal nécessaire, voire un bien, dans certaines situations de menace extrême. Comment comprendre cette dramatique régression de la « première démocratie » ? La réponse à cette question est moins évidente qu’il n’y paraît. D’où l’importance de cet essai, dans lequel Michel Terestchenko l’affronte dans toutes ses dimensions. Historique d’abord, car les techniques d’« interrogatoire coercitif » sont le fruit de recherches scientifiques entreprises par l’US Army dès les années 1950. Juridique ensuite, avec les justifications légalisées par le Congrès américain, qui a permis la création d’un véritable archipel mondial de la torture. Philosophique et morale, enfin et surtout, avec une réfutation serrée de l’« idéologie libérale de la torture ». L’auteur explique notamment pourquoi son argument central, l’hypothèse de la « bombe à retardement » justifiant la torture de l’individu qui l’a posée, n’est en réalité qu’une fable perverse, popularisée notamment par la série télévisée « 24 heures ». Ainsi légitimée, démontre l’auteur, la torture devient le venin de la démocratie : en acceptant de briser les corps des hommes et des femmes « ennemis », elle mine inévitablement les principes mêmes de l’Etat de droit, corrompant la société tout entière.


Michel Terestchenko est Maître de conférences de philosophie à l’Université de Reims. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de philosophie morale et politique, dont Un si fragile vernis d’humanité. Banalité du mal, banalité du bien (La Découverte/Poches, 2007), salué comme l’un des essais les plus importants de l’année 2005. Il est également l’auteur du blog michel-terestchenko.blogspot.com

samedi 22 novembre 2008

Un juge US ordonne la libération de cinq Algériens détenus à Guantanamo

Pour la deuxième fois depuis la décision de la Cour suprême fin juin rétablissant l'habeas corpus pour les prisonniers de Guantanamo, un juge civil a ordonné, jeudi 20 novembre, la libération de captifs détenus par les forces américaines sur la base navale de l'île de Cuba.
Le juge fédéral Richard Leon était saisi du cas de six Algériens, Lakhdar Boumediene, 42 ans, Mustafa Aït Idir, 38 ans, Mohamed Nechla, 40 ans, Hadji Boudella, 43 ans, Saber Lahmar, 39 ans, et Belkacem Bensayah, 46 ans. Ils avaient été arrêtés en Bosnie en 2001 et transférés à Guantanamo début 2002. Le magistrat a ordonné la libération des cinq premiers. Il a estimé que le gouvernement n'avait pas réussi à prouver la qualification d'"ennemis combattants" qu'il leur appliquait. Concernant Belkacem Bensayah, il a en revanche estimé qu'il était "probable" qu'il ait prévu de se rendre en Afghanistan pour y prendre les armes contre les forces américaines, apportant un "soutien direct" à Al-Qaida.
Le juge a rendu sa décision à l'issue d'un procès qui a duré sept jours, dont six à huis clos. Le verdict a été rendu en public au tribunal de Washington. Les détenus algériens ont pu l'entendre en direct depuis Guantanamo. C'est la première fois qu'un juge se prononce sur la validité de la qualification d'ennemi combattant. Le 7 octobre, un autre juge, Ricardo Urbina, avait déjà ordonné la mise en liberté de 17 Ouïgours, mais ceux-ci n'étaient plus considérés comme des ennemis combattants par le Pentagone. Les 17 Ouïgours sont toujours en détention, le gouvernement ayant fait appel. Il est vraisemblable que le sort des Algériens ne changera pas davantage. Les juges sont en droit d'ordonner la libération des prisonniers, mais il revient à l'armée d'organiser leur libération. A moins de deux mois de la fin de son mandat, le président George Bush n'a pas l'intention de prendre la responsabilité de libérer des hommes que l'armée juge susceptible de retourner au combat et de tuer des soldats américains.
Quelque 150 dossiers sont encore sur les bureaux de la quinzaine de juges de la cour fédérale de Washington autorisés à examiner les plaintes des détenus de Guantanamo par la dernière décision de la Cour suprême. Celle-ci a étendu les garanties constitutionnelles américaines à la base de Guantanamo, contredisant l'opinion de l'administration Bush, pour qui il s'agit d'une zone de flou juridique.
Corine Lesnes, Le Monde, 22/11/2008

mardi 18 novembre 2008

Obama face au casse-tête juridique de la fermeture de Guantánamo

Barack Obama en avait fait une de ses promesses de campagne. "J'ai dit plusieurs fois que je voulais fermer Guantanamo et je vais m'y tenir", a-t-il répété, dimanche 16 novembre, sur CBS. Le centre de détention de la base navale américaine est devenu le symbole des excès de la "guerre contre le terrorisme" de l'administration Bush. Plus de huit cents hommes et adolescents sont passés par le centre depuis son ouverture en janvier 2002, et deux cent cinquante-cinq s'y trouvent encore incarcérés, pour la plupart depuis des années, sans inculpation ni procès. Seulement trois détenus ont fait l'objet d'une procédure judiciaire jusqu'à présent et vingt-trois autres sont inculpés pour crimes de guerre.
"Pendant trop longtemps, les pratiques interrogatoires abusives à Guantanamo ont entaché la réputation de notre pays, qui se veut la patrie des droits de l'homme, écrit le San Francisco Chronicle. De même, l'absence de procédures judiciaires a entaché (...) le principe d'une protection égale pour tous." L'objectif de l'incarcération à Guantanamo, selon le Time, n'a jamais été de mener des procès mais de collecter des renseignements. Toutefois, si la fermeture de ce centre est urgente pour restaurer la crédibilité des Etats-Unis, elle pose un problème logistique inédit : qui libérer, qui maintenir en détention et où placer les prisonniers ?
NÉGOCIATIONS DIPLOMATIQUES
Interrogé par Foreign Policy, Matthew Waxman, ex-secrétaire adjoint à la défense chargé des questions relatives aux détenus – qui a quitté ses fonctions en 2005 après avoir échoué à faire appliquer les conventions de Genève aux incarcérés de Guantanamo –, s'attend à une longue procédure. Au premier rang des obstacles, "les difficiles tractations diplomatiques pour transférer certains détenus vers leur pays d'origine", explique le juriste. Ces dernières années, des accords avec l'Arabie saoudite et l'Afghanistan ont permis d'y renvoyer de nombreux prisonniers, note le Houston Chronicle. Ils ont alors été soit incarcérés, soit libérés. Mais le Yémen, dont est originaire une centaine de détenus, est réticent à passer de tels accords et n'accepte pas les conditions posées par Washington.
Par ailleurs, une soixantaine de prisonniers seraient passibles d'être jugés aux Etats-Unis, selon la CIA, mais sur quelle base juridique ? Matthew Waxman envisage trois options : un procès devant les tribunaux américains – cours fédérales ou cours martiales ; leur détention en tant que "combattants ennemis" ; ou bien une détention préventive, pour laquelle la Maison Blanche devrait chercher une nouvelle légitimité juridique.
JEU D'ÉQUILIBRISTE
Autre problème de taille : de nombreux aveux ont été obtenus "sous contrainte", rendant nuls les actes d'accusation pouvant servir de base à d'éventuels procès. Or, les Américains ne sont pas tous prêts à voir des terroristes présumés libérés pour vice de procédure. Ainsi, le chef du service étranger de Sky News, Tim Marshall, souligne sur son blog que la fermeture de Guantanamo pourrait conduire à remettre en liberté Khaled Sheikh Mohammed, cerveau présumé des attentats du 11-Septembre. "Allons-nous réellement libérer ces hommes alors que nous savons [en gras dans le texte] qu'ils sont coupables de crimes ?" Toute la difficulté pour Barack Obama, selon le Christian Science Monitor, sera de rassurer les Américains en trouvant un équilibre entre respect des libertés civiles et garanties sur la sécurité nationale du pays. D'autant plus, souligne le Time, que "des terroristes présumés vont continuer à tomber dans les mains de la CIA, du FBI et de l'armée américaine" et qu'il faudra aussi convenir de leur sort. C'est pourquoi, pour le Middle-East Times, la fermeture du centre de Guantanamo Bay n'est qu'un "premier pas" vers la mise en œuvre d'une nouvelle stratégie de lutte contre le terrorisme, qui mette définitivement fin aux atteintes aux droits de l'homme commises sous Bush Jr. Guantanamo n'est, en effet, pas le seul centre de détention américain sur le sol étranger, rappelle Al-Jazira, soulignant que Barack Obama devra aussi se pencher sur le sort des détenus en Irak, en Ethiopie ou encore à Diego Garcia (territoire britannique de l'océan Indien).
Mathilde Gérard, Le Monde, 18/11/2008