vendredi 17 avril 2009

AL JAZEERA RECUEILLE LA PREMIÈRE INTERVIEW D'UN DÉTENU


Un détenu de Guantanamo a pu téléphoner à la chaîne Al-Jazeera et témoigner des mauvais traitements qui lui ont été infligés. Il s'agit de la première interview d'un détenu de la prison de haute sécurité. Les Etats-Unis n'avaient en effet jamais autorisé un seul média à s'entretenir avec un prisonnier.
Il s'agit vraisemblablement d'une interview réalisée durant les appels téléphoniques normalement réservés aux familles. Mohammed el-Gharani, un Tchadien de 21 ans détenu à Guantanamo, a témoigné à la chaîne Al-Jazeera des mauvais traitements infligés par l'armée américaine. Lors d'un appel téléphonique à la chaîne arabophone, il a décrit un incident précis : alors qu'il refusait de quitter sa cellule parce qu'il n'avait plus le droit de parler avec d'autres détenus et qu'on lui refusait une "alimentation normale", six soldats (accompagnés d'un soldat filmant la scène) l'ont sorti de force de sa cellule. Ils l'auraient alors battu à coups de matraque et vidé deux conteneurs entiers de gaz lacrymogène sur lui.
"Je pouvais à peine voir ou respirer. Puis, ils m'ont battu encore au sol, l'un d'entre eux tenait ma tête et la frappait contre le sol. J'ai commencé à crier à son supérieur "vous voyez ce qu'il fait? vous voyez ce qu'il fait" [mais] son supérieur s'est mis à rire et m'a dit "il fait son boulot". "

Devant ces accusations, Al-Jazeera envoie les détails de cette conversation au Pentagone et au Justice Department : elle est alors contactée par le vice-amiral Brook DeWalt, porte-parole de Guantanamo, qui déclare simplement qu'il ne dispose d'aucune preuve corroborant ces propos.
Rappelons qu'un juge américain avait ordonné la libération de el-Gharani le 14 janvier dernier devant le peu de preuves le liant à Al-Qaida. Il est actuellement toujours détenu dans l'enclave cubaine où il attend sa libération.
FLOU AUTOUR DE LA DATE
Un certain flou règne autour de la date de cet incident et les versions diffèrent au fur et à mesure que l'information circule.
Sur l'article original d'Al-Jazeera traduit en anglais par la chaîne, Al-Gharani déclare que les mauvais traitements ont commencé "environ 20 jours avant que Barack Obama devienne président (...) et continuent presque tous les jours depuis." Il ajoute que "depuis qu'Obama a pris ses fonctions, il ne nous a pas montré que quoi que ce soit allait changer".
Ces phrases deviennent dans la dépêche originale de l'agence américaine Associated Press (écrite en anglais et traduite par @SI) : "El-Gharani n'a pas donné la date des violences présumées mais a dit que cela s'était passé après l'élection de Barack Obama qui a ordonné la fermeture de Guantanamo d'ici la fin de l'année."
On note au passage la suppression de la citation accusant Obama de ne pas montrer de signe de changement depuis son investiture.
Dernier rebondissement : AP France n'est pas d'accord avec AP USA. Dans la version traduite en français de cette dépêche que l'on trouve sur le site du Figaro, la phrase devient : "El-Gahrani n'a pas donné (de date : ndlr) pour ces violences présumées mais a toutefois précisé qu'elles s'étaient produites avant l'élection du président américain Barack Obama le 4 novembre dernier. Depuis, Obama a ordonné la fermeture du centre de détention de Guatanamo d'ici la fin de l'année."

L'INTERVIEWEUR EST UN ANCIEN DÉTENU
Une autre information intéressante que l'on ne retrouve pas dans les dépêches AP est l'identité de l'intervieweur de el-Gharani. Sami Al-Hajj, journaliste à Al-Jazeera est lui même un ancien détenu de Guantanamo libéré en mai 2008 en raison, encore une fois, d'absence de preuves le liant à des réseaux terroristes.
Interviewé sur la version anglophone de Al-Jazeera, il se montre très critique envers la gestion de Guantanamo sous la présidence Obama :
"C'est vrai qu'il y a un nouveau président des Etats-Unis mais il n'y a eu aucun changement dans l'administration de Guantanamo. Ce sont les gens qui étaient déjà là durant les années Bush et donc ils utilisent les mêmes méthodes qu'avant."

Elle a perdu une belle occasion de fermer sa gueule, la Miss !

Miss Universo pasó momentos muy bellos en el Guantánamo SPA
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"Et j'ai épuisé les cacahètes qu'ils m'avaient données pour les jeter aux prisonniers"

Le Venezuela détient le record des Miss Univers. La dernière en date, élue pour ses mensurations, ne l'a sûrement pas été en raison de son QI. La belle Dayana a perdu une bonne occasion de se taire ! Jugez-en plutôt :

La base de Guantanamo Bay est un "lieu apaisant, calme et superbe" selon Dayana Mendoza, Miss Univers 2008.
S'y étant rendue du 20 au 25 mars avec Miss USA, Crystle Stewart. Elle en parle comme d'une "expérience incroyable" dans un blog diffusé sur le site web Miss Univers et daté du 27 mars."Qu'est-ce qu'on s'est amusées!", a-t-elle dit en évoquant les promenades avec des militaires à travers le camp, entouré de barbelés, de terrains minés et de miradors. La plage qui borde la base est "incroyable" ajoute-t'elle."Nous avons visité les camps de détenus et avons vu les prisons où ils prennent des douches, comment ils se divertissent avec des films, des activités artistiques, des livres", écrit-elle. "Je ne voulais pas repartir, c'était un lieu si apaisant, si calme et si beau.""Nous avons aussi vu les chiens de l'armée, on nous a fait une très chouette démonstration de leurs aptitudes. Tous les gars de l'armée ont été formidables avec nous", ajoute Dayana Mendoza, qui a été élue Miss Univers l'an dernier au Vietnam.


mardi 14 avril 2009

De Vénissieux à Guantanamo ...

Influencés par un grand frère djihadiste, Mourad Benchellali et Nizar Sassi, deux jeunes des Minguettes sont partis en 2001 pour un voyage « initiatique » en Afghanistan... Ils y croisent Ben Laden avant d’être emprisonnés à Guantanamo.
Arrêtés en décembre 2001 au Pakistan et soupçonnés de faire partie d'Al Quaïda, Mourad et Nizar sont détenus pendant deux ans et demi à Guantanamo puis pendant deux ans dans les prisons françaises. En février dernier, la justice française les a relaxés. Retour sur leurs conditions de détention et leur réadaptation à la liberté.
Un reportage d'Olivier Minot - Réalisation : Véronique Samouiloff
Les Pieds sur terre, France-Culture, mardi 14 avril /mercredi 15 avril 2009, 13 h 30-14h
Pour écouter la première émission, cliquer ici
Pour écouter la deuxième émission, cliquer ici

vendredi 10 avril 2009

« À Guantánamo, j’ai obtenu un doctorat en torture et maltraitances » - Le changement d'administration à Washington n'a rien changé à Guantánamo"

Entretien avec Binyam Mohamed
par Moazzam Begg, Cageprisoners, 26/3/2009
Traduit par Isabelle Rousselot, révisé par Fausto Giudice, Tlaxcala

À la suite des attaques du 11 septembre et de la « guerre contre le terrorisme » subséquente menée par les USA, des centaines de Musulmans ont été livrés aux services de renseignements Usaméricains par différents pays. Un de ces hommes était Binyam Mohamed, un Éthiopien résidant en Grande-Bretagn, qui était parti en Afghanistan et au Pakistan pour redécouvrir sa foi en l'Islam et trouver, en même temps, un moyen de se débarrasser de son accoutumance nocive à la drogue. Binyam a réussi à atteindre ses deux objectifs mais d’une manière qu'il n'aurait jamais imaginées. Il a été vendu par les autorités pakistanaises pour une récompense, et est ainsi resté enfermé pendant plus de sept ans, dans les prisons secrètes Usaméricaines et dans les centres militaires de détention. Le 23 février 2009, il a été le premier – et pour l'instant le seul – prisonnier de Guantánamo à être libéré sous l'administration Obama. Enfin de retour au Royaume-Uni, Binyam a parlé de son calvaire et des tortures qu'il a subies dans deux entretiens célèbres.
Dans cette conversation exclusive avec le porte-parole de Cageprisoners, Moazzam Begg, Binyam discute du cas de ceux toujours détenus dans les camps aux USA – y compris du cas Aafia Siddiqui – et du rôle qu'a joué la foi durant son incarcération.


Version audio

Cageprisoners (Moazzam Begg) : Bismillah errahman errahim (Au nom d'Allah, le bienfaisant, le miséricordieux). Je suis ici avec mon frère Binyam Mohamed. Binyam, pouvez-vous vous présenter rapidement, et nous dire qui vous êtes et où vous étiez ces dernières années ?

Binyam Mohamed : Mon nom est Binyam Mohamed. Je suis un ressortissant éthiopien, né en Ethiopie. Je suis arrivé au Royaume-Uni quand j'avais 15 ans...

CP : ... Vous êtes manifestement connu pour avoir été détenu à Guantánamo et dans les prisons secrètes usaméricaines ces dernières années. Je voudrai tout d'abord vous dire, mon frère, qu’Allah soit loué pour votre retour dans ce pays. J'aimerais commencer en vous demandant : vous avez été détenu dans une des plus célèbres prisons du monde – si ce n'est la plus célèbre – de tous les temps. Beaucoup de gens ont le sentiment que les détenus là-bas, avec toutes les atrocités auxquelles ils sont confrontés, sont des victimes. Est-ce que vous vous qualifieriez de victime ou de rescapé ?

BM : D'abord, je voudrais louer Allah pour ma libération, qui intervient après presque sept années d'incarcération. Je dirais que je me vois plus comme un rescapé car il fallait survivre pour ne pas perdre la tête, et nous avons du trouver différents moyens de survie dans les situations où nous nous trouvions.

CP : Vous avez été arrêté au Pakistan puis transféré au Maroc où vous avez passé plusieurs mois ou était-ce plusieurs années ?

BM : J'ai été détenu au Pakistan pendant presque trois mois et demi puis transporté au Maroc où j'ai passé exactement 18 mois.

CP : Puis vous avez été transféré à Kaboul en Afghanistan, dans la « Dark Prison » ?

BM : ... Et puis j'ai été transféré à Kaboul où j'ai passé presque cinq mois.

CP : Ensuite vous avez été transféré au centre de détention de Bagram ?

BM : Oui, nous avons été transférés à Bagram vers le mois de juin 2004, où nous avons passé trois à quatre mois.

CP : Je sais que vous avez déjà donné plusieurs interviews – je ne vais pas revenir sur les terribles tortures auxquelles vous avez du faire face – mais je voudrais plutôt me concentrer sur les gens que vous avez pu voir, et ceux qui sont toujours en détention aux USA. Quand vous vous trouviez dans le centre de détention de Bagram, après avoir été détenu à la « Dark Prison », vous avez rencontré une prisonnière. Pouvez-vous nous parler de cette femme, de qui elle est selon vous et ce que vous avez pu en voir ?

BM : À Bagram, j'ai rencontré une femme qui portait une chemise avec le numéro 650 et je l'ai vu plusieurs fois, j'ai aussi entendu beaucoup d'histoires sur elle par les gardiens et les autres prisonniers là-bas.

CP : Et qu'est-ce que disaient ces histoires, comment était-elle décrite et quelle était son histoire ?

BM : Ce qu'on nous a dit d'abord... Nous avions peur car les gardiens nous ont dit de ne pas lui parler. Ils avaient peur que nous lui parlions et que nous sachions qui elle était. Alors ils nous ont dit qu'elle était une espionne du Pakistan, qui travaillait avec le gouvernement. Et les Américains l'ont amenée à Bagram.

CP : Alors vous pensez qu'ils ont fait courir la rumeur qu'elle était une espionne pour que vous restiez éloignés d'elle et que vous en ayez peur ?

BM : En fait, personne ne lui parlait dans le bâtiment et elle était détenue à l’isolement... Elle ne sortait dans le bâtiment principal que pour aller aux toilettes. Mais tout ce que je savais d'elle est qu'elle était du Pakistan et qu'elle avait étudié ou avait vécu aux USA. Et les gardiens parlaient beaucoup d'elle. Et en fait, j'ai vu sa photo ici, il y a quelques semaines et je suis certain que c'est la même personne que j'ai vue à Bagram.

CP : Et c'est la même photo de Aafia Siddiqui que je vous ai montrée ?

BM : c'est la même photo que j'ai vu.

CP : Il y a eu toutes sortes de rumeurs sur ce qui lui est arrivé – puisse Allah la libérer vite – mais une partie de ces rumeurs indiquaient qu'elle avait été terriblement maltraitée. Avez-vous connaissance des abus dont elle a été victime ?

BM : A part le fait qu'elle était en cellule d'isolement et que je l'ai vue quand elle venait dans le bâtiment principal, je peux vous dire qu'elle était gravement perturbée. Je ne crois pas qu'elle avait toute sa tête – En fait, je ne crois pas qu'elle était saine d'esprit mais je n'avais aucun sentiment à son sujet à l'époque car pour moi, ce n'était qu'une hypocrite qui travaillait avec les autres gouvernements. Mais si nous avions su que c'était une de nos soeurs, je ne pense pas que nous soyons restés silencieux. Je pense qu'il y aurait eu beaucoup de bruit, peut-être même des émeutes à Bagram.

CP : Certains des frères qui se sont plus tard enfuis de Bagram ont parlé d'elle et ont dit qu'ils avaient appris qui elle était et qu'ils ont fait la grève de la faim. Vous deviez déjà être parti à ce moment-là mais est-ce que les autres prisonniers étaient contrariés de voir une femme là-bas et une prisonnière ?

BM : Nous étions contrariés de voir les affaiblis, les blessés devant nous à Bagram, et si nous avions su qu'il y avait une de nos soeurs là-bas, je pense qu'aucun de nous ne serait resté silencieux. Mais pour que Bagram reste Bagram – c'est à dire calme -les Américains faisaient courir la rumeur qu'elle n'était pas une de nos soeurs...

CP : qu'elle était une espionne.

BM : oui, qu'elle était une espionne et que nous devions restés éloignés d'elle.

CP : Aviez-vous déjà entendu des rumeurs à l'époque sur le fait qu'elle avait des enfants, ou quelque chose de cet ordre ?

BM : Oui, je l'ai entendu, je ne sais plus si ça venait des gardiens ou des frères, mais j'ai entendu qu'elle avait des enfants, mais les enfants n'étaient pas à Bagram – Ils étaient ailleurs.

CP : Et y avait-il des rumeurs ou des discussions sur ce qui est arrivé à ces enfants ?

BM : Nous n'avions aucune idée de ce qui était arrivé aux enfants.

CP : Finalement, vous avez été transféré à Guantánamo et une des choses qui revient souvent sur le centre de détention de Bagram est que les gens subissaient toutes sortes de tortures là-bas et ils faisaient la comparaison avec Guantánamo. Si vous pouviez comparer les différentes prisons où vous avez été détenu – du Maroc, à la « Dark Prison », de Bagram, à Guantánamo – quelle est pour vous la pire de toutes ?

BM : Personnellement, je dirais la « Dark Prison » car là-bas, le but n'était pas d'obtenir des informations, ce n'était pas organisé comme un centre de détention, c'était vraiment fait pour que les gens deviennent fous.

CP : Pouvez-vous un peu nous décrire la « Dark Prison » et à quoi ça ressemble, car il y a de nombreux rapports de la part de ceux qui étaient détenus là-bas – et ils semblent être cohérents – mais afin d'avoir votre point de vue, et savoir quels ont été les effets sur vous : comment était la « Dark Prison » ?

BM : Depuis le début, on vous empêche de dormir à moins que... Vous êtes si fatigué que vous ne pouvez plus tenir debout – déjà vous vous dites que vous êtes dans un endroit où vous ne savez plus si vous existez vraiment... Dans les autres prisons où j'ai été détenu, je me disais « quand est-ce que ça va finir ? » Mais dans la « Dark Prison », ce n'était pas « quand est-ce que ça va finir » mais « est-ce que c'est réel ? »

CP : Une des choses les plus dures que j'ai trouvé, personnellement – ayant été moi-même détenu à Bagram – était que je savais que je pouvais arriver à gérer les maltraitances que je subissais – quand on m'a maltraité à Bagram, Kandahar ou à Guantánamo – mais le pire était de voir d'autres personnes maltraitées. Avez-vous vu régulièrement d'autres personnes se faire maltraiter par les soldats usaméricains ?

BM : Je voyais vraiment toutes sortes d'abus et d'humiliations, de traitements dégradants, mais habituellement les Usaméricains le faisaient de sorte à séparer ceux qu'ils préféraient de ceux qu'ils n'aimaient pas.

CP : Ceux qui coopéraient et ceux qui ne coopéraient pas ?

BM : Oui, même dans les systèmes de prisons. Si vous n'étiez pas menacé personnellement de mauvais traitements, vous ne vouliez pas rester debout pour voir les autres se faire maltraiter, parce que vous vous trouviez face aux mauvais traitements subis par les autres et, par exemple, c'est arrivé à Bagram, il y avait cet Afghan qui s'était fait tirer dessus au moins vingt fois, et le type avait... n'était plus qu'un squelette car il ne pouvait plus manger. Et ils l'ont fait sortir de l'hôpital où il était pour le mettre à dans le centre de Bagram – juste pour insuffler la peur à la population de la prison... Les Américains ne se préoccupent pas des blessé – Ils vous trouvent dehors, vous tirent dessus une vingtaine de fois, vous mettent à l'hôpital – vous commencez à remarcher à nouveau, ils vous mettent dans le centre de détention. Le gars ne pouvait littéralement pas... marcher seul, il ne pouvait même pas s'asseoir correctement. Il se trouvait dans la douche, quand on l'a forcé à repartir à l'isolement et l'homme ne pouvait pas marcher, alors il a demandé à s'asseoir. Et ce sont les mêmes gardiens qui hier souriaient et rigolaient avec nous, qui disaient au gars qu'il devait marcher. J'ai essayé d'intervenir – je ne pouvais pas ; les autres frères ont essayé d'intervenir – ils n'ont pas pu. Alors on s'est retrouvé dans cet affrontement où on essayait de leur dire qu'ils ne devaient pas lui faire ça. Et c'est à Bagram, alors ce qui s'est passé est très simple. On s'est retrouvé dans la confrontation et le gars posté sur ce qu'ils appellent la « passerelle », le pont au-dessus de nous qui surveille les douches – allait nous tirer dessus parce que nous essayions de dire aux gardiens de laisser le gars s'asseoir et se reposer pour ensuite retourner dans sa cellule.

CP : Le gardien a tiré sur les prisonniers – il avait armé son fusil ?

BM : Il était prêt à tirer... Il était prêt à ouvrir le feu. Et c'est ce à quoi nous étions confrontés quand nous essayions de résister à l'oppression que nous subissions à l'intérieur du système, c'était impossible.

CP : Je me souviens qu’à Bagram, même prier ensemble, faire l’Adhan (appel à la prière), lire le Coran, étaient considérés comme un crime. Avez-vous connu cette expérience ?

BM :À Bagram, on ne pouvait littéralement pas prier en groupe, ni même deux personnes ensemble. S'ils vous voyaient prier, juste l'un à côté de l'autre, ils vous forçaient à arrêter. Et si vous ne vous arrêtiez pas, on vous mettait à l’isolement et on vous faisait subir toutes sortes de mauvais traitements – vous attacher pendant six ou huit heures par exemple.

CP : Est-ce que vous pensez que les soldats usaméricains faisaient ça parce qu'ils détestent véritablement l'Islam qu'ils ne connaissent pas ou est-ce qu'ils avaient reçu des ordres ?

BM : Je dirais que c'est un mélange. Je veux dire que la plupart d'entre eux, ils le faisaient vraiment parce qu'ils détestaient l'Islam. Et il y en avait quelques-uns qui le faisaient parce qu'ils en avaient reçu l'ordre. L'ignorant, je dirai, représentait un pourcent – il y avait peu de gens ignorants là-bas.

CP : Je pense que l'ignorance engendre la haine, selon mon expérience, la plupart de ces gars, parce qu'ils étaient ignorants, avaient de la haine. Mais s'ils en avaient eu une connaissance correcte, ils auraient eu du respect pour la religion de l'Islam. Mais même l'idée d'une simple normalité, d'une connaissance de base à laquelle on peut s'attendre dans cet endroit – après tout, on se trouvait dans un pays musulman qui gère des prisonniers musulmans – est-ce que vous pensez qu'ils avaient la moindre connaissance de la culture, de la langue et de la religion des gens qu'ils surveillaient ?

BM : Le problème avec les Usaméricains en Afghanistan est qu'ils détestaient les Arabes mais ils détestaient encore plus les Afghans, et ils essayaient de jouer à nous monter les uns contre les autres, et ils essayaient de nous faire haïr les Afghans ou que les Afghans nous haïssent.

CP : Alors c'était diviser pour mieux régner ?

BM : oui, diviser pour mieux régner. Je ne pense pas que les décideurs étaient assez stupides pour ignorer que l'Islam était aussi en Afghanistan. Ceux en bas de l'échelle – les soldats d'infanterie – suivaient simplement les ordres, et au final, ils continueront à suivre les ordres, qu'ils aient ou non une connaissance de l'Islam.

CP : Dans le même ordre d'idée, avez-vous rencontré des soldats là-bas qui vous ont semblé bien, normaux, décents, avec qui vous pourriez avoir une conversation et qui étaient compréhensifs ?

BM : En fait, j'étais en position de parler avec beaucoup d'entre eux car je parlais anglais. A chaque fois qu'ils regardaient leurs dossiers et vérifiaient les profils des gens, ils voyaient que j'avais été aux USA donc ils avaient un sujet de conversation. C'était une sorte de... quelque chose que nous avions en commun et dont ils voulaient parler. Mais généralement, avec le reste des gens, ils ne voulaient tout simplement pas les connaître.

CP : et est-ce que vous pensez que parler anglais était un bienfait à l'époque ou était-ce un bienfait et une malédiction ou juste une malédiction ?

BM : En fait, c'était parfois une bénédiction, parfois une malédiction.

CP : Est-ce que c'est parce que tout le monde veut vous interroger, parce que vous comprenez tous les ordres ?

BM : Oui... Ca marche dans les deux sens : ils comprennent qu'ils ne peuvent pas vous maltraiter autant qu'une personne qui ne parle pas anglais. Ils n'avaient pas peur que quelqu'un qui ne pouvait pas parler anglais rapporte un incident car une personne qui ne parle pas anglais a besoin d'un traducteur et la traduction peut se perdre en cours de route.

CP : À Bagram, j'ai également connu quelqu'un qui était terriblement blessé – on lui avait tiré dans l'oeil et il avait deux énormes blessures ouvertes à l'épaule et au torse. Et cette personne était le jeune garçon, Omar Khadr, qui est le seul Canadien – le seul Occidental – toujours détenu à Guantánamo. Je ne l'ai pas rencontré à Guantánamo mais à Bagram et j'étais... mon coeur saigne pour lui, car c'était un jeune garçon très doux, et même le voir essayer de réciter le Coran me mettait les larmes aux yeux. Avez-vous connu Omar ?

BM : Omar Khadr était ce jeune garçon doux mais quand je l'ai rencontré, c'était un jeune homme, je l'ai rencontré quand nous avons été condamnés – nous nous sommes trouvés dans le même bâtiment.

CP : Vous avez tous les deux été condamnés par les Commissions Militaires ?


Dessin d'audience censuré représentant Binyam et son avocat militaire commis d'office devant la Commission militaire le 6/4/2006 . Janet Hamlin/
AP Photo

BM : Tous les deux, nous avons été condamnés pratiquement en même temps, en 2006 - vers le mois de novembre – et on s'est rencontrés début 2007, de retour dans le Camp 5. Et on a commencé à faire connaissance. Je l'avais déjà vu auparavant – je l'avais rencontré dans l'autre bâtiment mais pas de la même façon, parce que là, nous avons pu aller ensemble en pause.

CP : Pendant la récréation, dans la cour de récréation ?

BM : Ce qu'ils appellent la cour de récréation n'est en fait qu'une petite cage – une cellule de 4m par 4, et on a pris l'habitude de s'asseoir ensemble et de beaucoup discuter.

CP : Alors ils vous laissaient parler et marcher ensemble dans la même cour de récréation ?

BM : En fait, j'avais ma propre cage et il avait la sienne- Il n'y avait pas beaucoup d'interaction possible. Mais, au moins nous pouvions parler plus librement qu'à l'intérieur du bâtiment.

CP : Quelles ont été vos impressions sur Omar Khadr ?

BM : C'était plutôt ridicule de voir ce très jeune garçon condamné par la Commission et représenté comme quelqu'un de diabolique. La réalité est - et c'est là où les Usaméricains se sont trompés – qu’Omar était perçu comme un jeune Musulman opprimé par les Usaméricains, sans véritables raisons sauf qu'il était musulman. Et voilà comment ça se passe, si vous avez connu Omar, vous savez... Je veux dire que c'était juste une personne normale.

CP : Une des personnes que j'ai rencontrée à Bagram et qui était un interrogateur usaméricain, s'est retourné contre l'armée usaméricaine pour ce qu'ils ont fait en Afghanistan et plus tard, en Irak. Il connaissait également Omar Khadr, et je lui ai parlé – Je lui ai téléphoné il y a quelques semaines et il est maintenant un témoin de la défense d’Omar Khadr, parce qu'il était un interrogateur à l'époque, et il a dit qu'il reconnaissait que ce qui se passait là-bas n'était pas bien et qu'il essayait maintenant de faire quelque chose à ce sujet.

BM : Je pense que ça fait longtemps que nous attendons que les gens commencent à prendre leur responsabilité pour les crimes qu'ils ont commis. Bien qu'il y ait des allégations contre nous, que nous soyons condamnés ou non, en tant que criminels, les véritables criminels sont là-bas, à la Maison Blanche ou au Pentagone, ou où qu'ils soient... Les gens doivent maintenant prendre leur responsabilité.

Londres, janvier 2008 : une militante de Brighton porte une pancarte avec la photo de Binyam Mohamed au cours d'une manifestation de solidarité avec les détenus de Guantánamo

CP : Qu'est-ce qui vous a donné, en tant que prisonnier pendant tout ce temps dans les prisons US, la force de même vous dire que vous pouviez survivre ? D'où vous est venue votre force ?

BM : La force est venue d'Allah – Elle ne pouvait venir que de Allah, et si ce n'était pour Allah, nous aurions été complètement perdus.

CP : Certains soldats usaméricains me disaient : si j'étais dans une cellule comme ça, si j'étais emprisonné, je me serais effondré. Et je répondais en disant qu'au moins j'avais cinq choses chaque jour en quoi espérer. Mais ce n'était pas tout à fait comme d'habitude – même ces cinq choses – les cinq prières. Comment avez-vous réussi à accomplir vos prières, les prières de Joumou'a (prière du vendredi), pour les fêtes de l'Aïd, prier en assemblée... Comment arriviez-vous à faire tous cela ?

BM : Malheureusement, je n'ai pas pu faire de prières en groupe dans aucune des prisons où je me suis trouvé.

CP : Pendant sept ans, vous n'avez jamais prié en assemblée, même pour les prières de Joumou'a ?

BM : Non... Je n'ai pas pu... Il n'était pas possible de prier en groupe dans aucun des endroits où j'ai été détenu.

CP : Même pour les prières de Joumou'a et pour les fêtes de l'Aïd ?

BM : Non, pas même pour Joumou'a ni pour l’Aïd. Aucune de ces prières ne pouvait se faire en groupe et le seul endroit où les prières en assemblée étaient autorisées est au Camp 4 mais je n'ai pas été dans le Camp 4.

CP : Dans les bâtiments, il n'est pas possible de prier en congrégation mais les gens prient quand même les uns derrière les autres. En fait, à l'intérieur de chaque bâtiment, il y avait 24 cellules de chaque côté, dans le Camp Delta, soit 48 cellules en tout. La personne qui se trouvait dans la première cellule, qui qu'elle soit, dirigeait la prière. C'est comme cela que ça se passait mais personne ne pouvait physiquement se tenir à côté de quelqu’un d’autre.

BM : Non, on ne pouvait pas se tenir les uns à côté des autres. Selon mon expérience, j'ai été détenu dans le Camp 5 et le camp 6, vous ne pouviez même pas voir la personne qui se trouvait devant vous, il n'y avait qu'un mur.

CP : Ce sont des cellules en béton, c’est seulement dans les cages qu’on pouvait voir les autres personnes.

BM : Et le son était à peine audible, il nous parvenait à travers les fissures des portes. Ce n'est pas comme dans les cages où le son peut voyager. Mais les gens continuaient quand même à faire leurs prières – et à les appeler les prières en congrégation – pour être ensemble, car une des choses que les frères souhaitaient, était être ensemble... Et c'est toujours pratiqué dans le Camp 5 et le Camp 6.

CP : Vous dites que, bien sûr, les frères voulaient être ensemble, et le concept de fraternité là-bas est très important, et particulièrement du fait des circonstances défavorables. Il y a un frère là-bas en particulier, qui est vu par une certaine presse comme une des personnes les plus influentes à Guantánamo. Mais ce frère aurait du être avec vous dans l'avion – ou du moins vous le pensiez- quand vous êtes rentré au Royaume-Uni ? Pouvez-vous me parler de ce frère ?

BM : Ce frère, qui était Shaker Aamer et qui était censé être dans l'avion avec moi, était très influent à Guantánamo. Il a changé beaucoup de choses – beaucoup des maltraitances que les frères subissaient – il les a faites changer.

CP : Et il les a changées en faisant quoi ?

BM : En rassemblant les frères et en fait, en faisant un marché avec les Usaméricains, et en allant vers les Usaméricains – en allant vers les Usaméricains avec une proposition pour les changements qu'il désirait. Et ça fonctionnait bien jusqu'à ce que des interrogateurs se mêlent de ce qui se passait, et Shaker en a été tenu responsable.

CP : Vous parlez des grèves de la faim et des droits qu'il était en train d'essayer d'obtenir pour les prisonniers – pour une meilleure nourriture, pour que le Coran ne soit pas profané, pour que les prisonniers ne soient pas fouillés à corps à chaque fois et ce genre de chose. Est-ce exact ?

BM : Ce sont les choses auxquelles travaillait Shaker et je me trouvais juste à côté de lui, à côté de sa cellule – Il était dans la cellule 17 et j'étais dans la cellule 19 (il n'y avait qu'une cellule entre nous deux) et je savais exactement ce qu'il essayait de faire et nous avons essayé et travaillé à toutes ces choses et nous avions accompli beaucoup – c'était en 2005, à cause d'un interrogateur – il avait battu un des prisonniers pendant un interrogatoire, ce qui avait provoqué une émeute et puis Shaker a été mis en isolement à partir de 2005.

CP : Et il a été séparé complètement de tout le monde et mis dans un des camps d'isolement dans le Camp Echo.

BM : Il a été détenu dans le Camp Echo de 2005 jusqu'à 2008, je crois, jusqu'à ce qu'ils décident de le sortir il y a quelques mois.

CP : Shaker Aamer était un de mes amis le plus proche. Et bien que je ne l'ai jamais vu à Guantánamo ni à Bagram, une des pires choses pour moi était que je savais que nous avions tous les deux eu des fils qui étaient nés pendant que nous étions en détention à Guantánamo. Toute sa famille se trouve en Grande-Bretagne – ils sont tous Anglais – son plus jeune enfant a presque 8 ans et il ne l'a jamais vu. Vous rappelez-vous avoir entendu Shaker parler de sa famille et comment il réussissait à gérer la séparation avec sa famille pendant tout ce temps ?

BM : Quand j'étais avec Shaker, il était surtout préoccupé par les grèves de la faim à Guantánamo. Oui, il parlait de son fils et combien il souhaitait rentrer et être avec son fils, et il était impatient de rentrer au Royaume-Uni pour voir sa famille et vivre avec elle. Et, je pense qu'en 2005, il croyait qu'il allait rentrer – je veux dire qu'il espérait qu'un jour viendrait où il reviendrait au Royaume-Uni et retrouverait sa famille.

CP : Shaker n'est toujours pas rentré, mais on vous a fait croire qu'il serait dans l'avion avec vous ?

BM : J'ai parlé aux officiers du service diplomatique et du Commonwealth dans l'avion au sujet de Shaker et ils m'ont dit qu'il aurait du être dans l'avion avec moi, le Royaume-Uni avait demandé sa libération auprès des USA. Mais le seul problème était que les USA refusaient de relâcher Shaker au Royaume-Uni.

CP : Ils refusent sa libération – de façon ironique, non pas parce qu'il allait être condamné par les commissions militaires ou quelque chose de ce genre, mais parce qu'il était une personne influente.

BM : Je dirais que les Usaméricains tentent de le faire taire le plus possible. Ce n'est pas parce qu'il a des informations mais les Usaméricains ne veulent pas que le monde sache ce qui s'est passé en 2005 et 2006 – les grèves de la faim et tous les événements qui ont eu lieu, les trois frères qui sont morts – Il est probable et évident que Shaker n'a pas ces informations mais les Usaméricains pensent qu'il en a certaines et ils n'aiment pas que ce genre d'informations paraissent. Et c'est pourquoi ils essayent de repousser sa libération. J'étais dans la même situation : en 2007, je devais être relâché avec trois autres résidents mais comme j'étais sous surveillance usaméricaine à ce moment-là – à cause des grèves de la faim en 2005, et des morts... Ils ont décidé de reporter ma libération.

CP : Vous avez beaucoup parlé des grèves de la faim. Pour ma part, j'ai été en Irlande du Nord plusieurs fois et j'ai parlé avec beaucoup d'anciens prisonniers irlandais et j'ai parlé avec beaucoup de ces grévistes de la faim et j'ai même rencontré ceux qui étaient avec Bobby Sands avant qu'il meure. Pensez-vous vraiment que la grève de la faim peut faire changer quelque chose ?

BM : En 2005, ça a effectivement changé quelque chose, ça a tout changé. Les Usaméricains sont venus et ont dit qu'ils allaient mettre en place des lois, car à Guantánamo avant 2005, il n'y avait aucune loi, il n'y avait pas de règlement non plus. Le colonel disait « Je fais ce que je veux » mais après la grève de la faim – la grande grève de la faim de 2005 – ils ont, en fait, commencé à mettre en place quelques règles que nous connaissions – non pas que nous les appréciions mais c’était mieux que rien.

CP : Vous n'étiez pas – aucun de nous ne l'était – traité comme des prisonniers de guerre, mais pensez-vous, que si vous aviez été traité en tant que tel, il y aurait eu moins de problèmes entre les prisonniers et l'administration ?

BM : eh bien, si on examine les choses... Par exemple, dans le Camp 4 où il y avait un grand nombre de gens, il n'y a jamais eu de problèmes entre les prisonniers et l'administration, ou les gardiens. Même si le Camp 4 n'est pas un camp de prisonniers de guerre mais il n'y a jamais eu de problème. Mais les isolements et la ségrégation que les usaméricains ne veulent pas admettre – comme dans le Camp 5 et Camp 6 -, c'est là où se trouvaient tous les problèmes.

CP : Quand vous dites ségrégation, qu'est ce que vous voulez dire ?

BM : La ségrégation, selon la lecture que j'en ai, est le fait d'être isolé dans une cellule et quand vous êtes dans votre propre cellule, vous êtes séparé de l'autre personne. La ségrégation à l'usaméricaine est quand on vous sépare du public (de la population) et que vous ne pouvez pas voir d'autres personnes, mais ils ne considèrent ni le Camp 5 ni le Camp 6 comme des camps de ségrégation.

CP : Ce qui veut dire que vous vous trouvez en fait isolé dans des cellules, où vous ne pouvez ni voir ni communiquer avec d'autres personnes ?

BM : Oui, c'est exactement ce qui se passe dans les Camps 5 et 6.

CP : Et pensez-vous qu'il y ait eu beaucoup de changements depuis l'arrivée au pouvoir de Barack Obama et quel était le sentiment à Guantánamo quand cela s'est produit ?

BM : Quand l'administration a changé, Guantánamo n'a pas changé, en aucune façon – les prisonniers ne s'en souciaient même pas – ils n'étaient ni contrariés ni non plus contents – ils ne s'en souciaient pas vraiment parce que vous ne comptez pas sur l'administration et parce que vous ne comptez pas l'administration pour arriver et changer l'oppression. Notre foi est dans Allah et Allah est celui qui va faire changer cette oppression – pas une nouvelle administration. Donc les gens à Guantánamo s'en moquaient – il n'y avait aucune émotion liée au nouveau gouvernement. Du côté de l'administration à Guantánamo, ils ont commencé à être plus oppressifs : ils ont commencé à mettre en place des règles, des règles dégradantes qui ont poussé la plupart d'entre nous à faire les grèves de la faim. Et si vous regardez les chiffres avant que la nouvelle administration ne prenne le pouvoir, il n'y avait que 10 à 20 personnes qui faisaient la grève de la faim, et juste après l'arrivée de la nouvelle administration, les chiffres sont montés jusqu'à une quarantaine de personnes nourries par perfusions et environ une centaine en grève de la faim.

CP : Voulez-vous dire qu'on les alimentait de force, qu'on les attachait et qu'on leur plaçait, contre leur volonté, un tube dans le nez et qu'on les alimentait par ces sondes nasales ?

BM : Oui, c'est exactement ce qui se passe à Guantánamo.

CP : Et donc vous dites que les grèves de la faim – maintenant alors que nous parlons ou quand vous êtes parti – avaient toujours lieu ?

BM : J'avais le numéro 41 pour l'alimentation sous perfusion et après moi, il y en avait encore trois qui étaient inscrits – et ceci juste pour le Camp 5. Alors, aujourd'hui, je dirais que, à moins que l'administration ait fait un marché avec les grévistes de la faim, je dirais que leur nombre est autour d'une cinquantaine maintenant.

CP : Même maintenant, alors qu’Obama a dit qu'il fermerait Guantánamo, il a même dit la semaine dernière, qu'il n'appellerait plus les prisonniers des « combattants illégaux », malgré tout ça, vous pensez que les gens font toujours la grève de la faim ?

BM : L'administration dit beaucoup de choses là-bas mais ils ne contrôlent pas Guantánamo – Guantánamo est contrôlé par la JFT (Joint Task Force) et le JDG (Joint Defense Group) et ce sont eux qui font la loi à Guantánamo et la façon dont ils l'a font régner est... Quand j'étais là-bas, il n'y avait aucun changement – Ça va juste empirer, c'est comme ça.

CP : Que pensez-vous qu'il va arriver, qu'il devrait arriver aux prisonniers qui sont toujours là-bas ?

BM : J'ai entendu dire que cette nouvelle administration allait fermer Guantánamo dans un an – ça ne prend pas une année pour libérer des gens, ça ne prend pas une année pour fermer un lieu. Si cette administration essayait vraiment de réparer les torts, tout ce qu'elle a à faire est d'ouvrir une porte et de laisser les gens sortir.

CP : La majorité des gens toujours en détention sont yéménites. Pensez-vous qu'il y a quelque chose de particulier concernant les Yéménites qui empêchent les Usaméricains de les relâcher ?

BM : Je pense que les Usaméricains attendent, ils font pression sur le Yémen et la politique là-bas est d'empêcher la libération des Yéménites, et voilà comment la politique interfère avec la justice alors que ça devrait être la justice avant la politique mais dans le monde où nous sommes aujourd'hui, ça ne se passe pas comme ça.

CP : Beaucoup de gens qui ont été affectés par la « guerre contre le terrorisme » et bien sûr les gens détenus à Guantánamo sont exclusivement musulmans. Quel est le devoir, selon vous, des gens du monde musulman en particulier , envers ceux détenus à Guantánamo et dans les centres de détention secrets ?

BM : Qu'ils ne les oublient pas dans leurs prières et qu'ils les soutiennent de toutes les manières possibles.

CP : Il y a beaucoup de gens qui penseraient que tout cet épisode – pour vous, pour moi, pour ceux détenus à Guantánamo - est trop lourd à supporter pour une seule personne et qu'après ce genre d'expérience, on devrait juste rentrer chez soi, baisser la tête et ne pas s'investir dans quelque chose, ne pas lutter pour les droits des autres prisonniers. Quelle réponse leur donneriez-vous ?

BM : Ces sept ans m'ont beaucoup appris – J'ai appris des choses que je ne soupçonnais pas, des choses que je n'aurais pu apprendre qu'à travers cette expérience. Baisser la tête par peur ne devrait pas être une excuse pour ne pas faire son devoir. Il y a de l'oppression là-bas – nous devons tenir tête à ça.

CP : Malgré ce que beaucoup de gens pensent sur les choses terribles qui se sont passées à Guantánamo, il y a des choses qui ressortent, beaucoup de choses que j'ai vues sont apparues que je n'aurais jamais imaginées. De nombreux prisonniers – moi y compris- ont mémorisé une grande partie du Coran à Guantánamo et à Bagram ou autres. Quel est le pourcentage aujourd'hui, selon vous, des gens qui ont presque mémorisé entièrement le Coran, à Guantánamo ?

BM : Je dirais qu'ils sont autour de 90% à avoir mémorisé le Coran et même les 10 % restant l'ont mémorisé mais ils peuvent l'oublier car la situation dans laquelle ils se trouvent à Guantánamo est si difficile qu'il n'est pas facile de rester soi-même.

CP : Il y avait une période où le Coran était enlevé des cellules et profané et jeté par terre, et certains prisonniers ont décidé qu'ils ne voulaient plus le Coran dans leur cellule. Comment ces prisonniers ont-ils pu continuer à avancer dans leur connaissance du Coran ?

BM : C'est étonnant : même si la plupart du temps, je n'avais pas le Coran avec moi, ce que je faisais est que je demandais à une personne qui avait mémorisé le Coran de me réciter un verset et je le mémorisais à mon tour puis je me le répétais toute la journée. Et c'est vraiment étonnant – vous pensez peut-être que c'est gaspiller son temps – mais à la fin de l'année, vous réalisiez que vous aviez mémorisé presque la moitié du Coran, de cette manière.

Binyam à son retour à Londres le 23/2/2009. Photo Lewis Whyld /AP

CP : En fait, c'est de cette façon que le Coran a été révélé au Prophète (Salla Allahu Alayhi wasallam – Paix soit avec lui) et c'est comme ça qu'il a été distribué au Sahaabah (ses compagnons, qu'Allah soit satisfait) – Le prophète (Salla Allahu Alayhi wasallam) était an-Nabi al-Ummi (le Prophète de la communauté) – il ne savait ni lire ni écrire et c'était donc fait à l'aide du bouche à oreille et en fait, si ça ne s'était pas fait pour tous les huffaadh (les gens qui mémorisent) du Coran, qui se faisaient tuer dans les premières batailles, le Coran n'aurait jamais été mis sous forme de livre, ça paraît donc fascinant que des gens soient revenus à la première forme d'apprentissage du Coran. Est-ce que ça se déroulait de la même façon pour ce qui est des sciences islamiques et d'autres sciences générales, est-ce que les gens en parlaient entre eux ou était-ce juste le Coran que les gens s'apprenaient les uns aux autres ?

BM : Les gens faisaient cette même chose avec le Hadith (rapports sur le Prophète Salla Allahu Alayhi wasallam), toutes les connaissances étaient présentes là-bas. Et principalement à Guantánamo, l'échange de connaissances se faisait de bouche à oreille – Il n'y avait aucun écrit.

CP : Une des choses qui se produit pour les prisonniers condamnés, en fait, même pour les pires prisonniers condamnés dans le monde, est qu'ils peuvent étudier et obtenir un doctorat, le bac, une licence... Aviez-vous accès à cela, même si vous n'avez pas été reconnu coupable d'un crime ?

BM : J'avais accès à un doctorat en torture et maltraitances et j'ai été diplômé à Guantánamo avec un doctorat dans ces matières... C'est tout ce que nous avions.

CP : Vous êtes maintenant un homme libre, du moins relativement libre – relativement libre car vous êtes encore sous conditions. Quels sont vos espoirs pour l'avenir – que souhaitez-vous qu'il arrive – dans votre situation propre et dans la situation des prisonniers toujours détenus là-bas ?

BM : J'espère que mon cas sera résolu, par le ministère de l'intérieur ou par le ministère des Affaires étrangères, et pour les prisonniers, je voudrais voir la justice et pas la propagande. La libération de tous les prisonniers de Guantánamo et des autres prisons.

CP : Nous – tous les anciens détenus dans la Baie de Guantánamo, ou la plupart d'entre nous- avons accusé le gouvernement britannique de complicité dans notre torture. Pensez-vous que le gouvernement britannique ou les services de renseignements devraient s'expliquer ou devraient-ils simplement s'excuser point barre ?

BM : Je dirais qu'ils doivent faire beaucoup plus que de s'excuser – s'excuser n'est pas suffisant – ou alors peut-être s'excuser et changer leur politique.

CP : Une information qui vient de sortir, il y a juste une quinzaine de jours, est qu'il y a des allégations contre les services secrets britanniques, de torture sur des citoyens britanniques dans des pays aussi différents que l'Égypte, le Pakistan, le Bangladesh, le Maroc dans votre cas – l'Afghanistan et le Pakistan pour mon cas – Je pense que le problème est bien plus important qu'ils ne veulent l'admettre. Pensez-vous qu'ils vont finir par l'admettre à un moment donné ?

BM : Je pense que le gouvernement britannique admettra beaucoup de choses, peut-être plus tard, au contraire des Usaméricains... Je crois que les Britanniques sont plus intelligents que les Usaméricains concernant ce genre de choses.

CP : Jazak Allah khair (Puisse Allah te récompenser,) Binyam Mohamed : Puisse Allah accepter toutes vos luttes pendant toutes ces années et les transformer en votre faveur le jour du jugement. Baarak Allah fik (Qu'Allah te bénisse)

BM : Wa iyyakum (vous aussi).





Moazzam Begg, né en 1968 à Birmingham, Grande-Bretagne, dans une famille pakistanaise, est porte-parole de Cageprisoners. Il a été arrêté au Pakistan après le 11 septembre et a été détenu 11 mois à Kandahar et Bagram puis 3 ans à Guantanamo, dont il a été libéré en janvier 2005.

Depuis son retour en Grande-Bretagne, il déploie une activité inlassable en faveur du droit des personnes victimes de la "guerre au terrorisme", donnant des conférences et conseillant des organisations comme Amnesty International et Reprieve.

Il a publié un remarquable livre de témoignage, co-écrit avec la journaliste Victoria Britain, Combatant: My Imprisonment at Guantanamo, Bagram and Kandahar

Il est l'un des protagonistes du film de docu-fiction Road to Guantanamo de Michael Winterbottom.

Nous publions ci-dessous un portrait de lui par Paul Rodgers, du quotidien The Independent.
Le livre de Moazzam Begg



Moazzam Begg: “Il faudra bien finir par négocier avec Al Qaïda”
AUTEUR: Paul RODGERS
Traduit par Fausto Giudice
Il a passé 3 ans à Guantánamo comme « combattant ennemi » ; il a vu des compagnons se faire assassiner. Mais il ne recherche pas la vengeance.
Ils se sont présentés chez lui à minuit –c’est classique - mais ce n'était pas une banale descente de police. Les hommes armés qui se tenaient sur le palier de Moazzam Begg ne portaient pas d'uniforme. Sans un mot, ils ont jeté à terre le travailleur humanitaire britannique et lui ont attaché les bras et les jambes dans le dos. Avant qu'ils ne lui mettent une cagoule sur la tête, il a pu voir certains d'entre eux se diriger vers les chambres où dormaient sa femme et ses enfants. D’autres hommes l’ont chargé à l'arrière d'une Jeep. Pendant qu’elle filait dans les rues d’Islambad, quelqu’un a soulevé sa cagoule juste assez pour qu’il puisse voir un Américain brandissant une paire de menottes : « Je les ai eues de la veuve d’une victime du 11/9 », a-t-il dit hargneusement avant de les refermer sur les poignets déjà entravés du prisonnier.C'est ainsi qu'ont commencé les trois années de Begg dans la peau d'un « combattant ennemi » de « la guerre contre le terrorisme ». Son ordalie a été ponctuée de menaces, de coups, d'isolement, d’humiliations, de dégradations et de conseils par un psychiatre militaire US sur la meilleure manière de se suicider. Il a vu deux de ses compagnons de détention se faire tuer par des gardiens. On lui a dit qu'on l'avait envoyé en Égypte pour pouvoir le torturer, et on lui a fait croire que la femme qui hurlait de douleur dans la pièce à côté était la sienne. Ce genre de traitement pourrait transformer le plus modéré des individus en extrémiste. Je m'attendais à rencontrer un homme crachant du venin, débordant de colère justifiée et de ressentiment. Mais Begg, qui me reçoit dans le salon de sa maison jumelée à Birmingham, est surtout stupéfait qu'on ait pu le prendre pour un terroriste. « Je n'admets pas l'usage de la violence et le massacre de civils innocents », déclare-t-il avec emphase. Loin de chercher à se venger, il a réfléchi à un plan de paix inédit qui pourrait sauver les vies de centaines de soldats américains et britanniques. Depuis qu'il a été libéré en 2005, Begg travaille pour
Cageprisoners, une organisation qui lutte pour la libération des prisonniers de Guantánamo et des plus de 70 détenus « disparus » dans camps « fantômes » US. « L’Amérique nie les détenir », dit-il. « Il leur arrive pourtant d'annoncer qu'une personne qu’ils ont toujours prétendu ne pas détenir, et qui a disparu depuis cinq ans, a été envoyée à Guantanamo. » Begg travaille également en étroite collaboration avec Amnesty International et vient de participer au lancement par l'organisation de deux campagnes de mobilisation, dont l’une, la semaine Protégeons les humains, commence le 13 octobre « Je prends souvent la parole dans des lieux où je suis le seul à avoir la peau foncée », raconte-t-il. « Toutes les fois où j'ai pensé que j'allais me heurter à un public hostile, je me suis trompé. Cela me donne de l'espoir. » Il soutient aussi la campagne Désabonnez-vous qui démarre mardi : une tentative de mobiliser les internautes pour qu’ils sortent de la « guerre contre le terrorisme » de la même manière qu’on se désabonne d’une liste de diffusion.
Je suis intrigué de voir qu’un Musulman qui a tant souffert entre les mains de l’Occident ait pu devenir un champion de ses idéaux les plus chers – les droits civiques et le règne de la loi. Mais Begg ne voit là aucune contradiction. De tels principes étaient contenus dans le Coran des siècles avant que le Roi Jean signe la Magna Carta. « L’équivalent de l’habeas corpus est décrit dans des versets du Coran qui parlent des droits des individus à avoir des témoins et des preuves. » Il a rencontré Martin McGuinness, ancien commandant de l'IRA (Armée républicaine irlandaise) et aujourd'hui vice-Premier ministre d'Irlande du Nord, et cela lui a donné des idées : il veut écrire un livre pour expliquer comment on pourrait mettre fin de façon pacifique à cette « guerre contre le terrorisme ». Selon lui, le temps est venu pour les gouvernements et les terroristes de commencer à se parler. « C'est la seule voie possible », affirme-t-il. Pour appuyer ses propos, il cite un passage du discours du ministre de la Défense britannique, Des Browne, lors du congrès du Parti travailliste, en septembre dernier : « À un moment ou un autre, il faudra bien que les Taliban soient impliqués dans le processus de paix en Afghanistan parce qu'ils ne vont pas quitter le pays. » « C'est peut-être difficile à admettre, mais c'est la réalité », commente Begg. « Les Taliban ne sont pas des Martiens. » À première vue, l'idée que George Bush et Oussama Ben Laden puissent un jour s'asseoir à la même table semble grotesque. Mais on en disait autant de McGuinness et de Paisley : « Il ne s’agit pas simplement d’Oussama Ben Laden », dit Begg. « Il y a beaucoup d’autres gens auxquels ils auraient pu et du parler et dans certains cas, même s’ils le nient, auxquels ils ont parlé. »Si le discours de la "guerre contre le terrorisme" se décline en noir et blanc, Begg voit plutôt les choses en gris. « Pour eux, soit on est avec Ben Laden, soit on est avec Bush, précise-t-il. Mais moi, comme la majorité des gens, je suis entre les deux. » S'il n'est pas un terroriste, il admet avoir pensé à s'engager comme combattant dans forces bosniaques au début des années 1990. « Je crois que les gens ont le droit de résister à l'occupation en Afghanistan et en Irak », poursuit-il. Pour beaucoup de Britanniques et d'Américains, cela suffit à faire de lui « l'un des leurs », et non « l'un des nôtres ». Mais cela ne fait pas de lui un combattant, ni un terroriste ni un membre d'Al Qaïda.
Un autre reproche que lui font beaucoup de gens, c’est qu’il a installé sa jeune famille à Kaboul pour monter une école de filles à l’apogée du pouvoir Taliban. Begg apprécie les tentatives des Taliban pour reconstruire l’Afghanistan après des décennies de guerre mais il ajoute : « Je ne pense pas qu’ils avaient la moindre idée sur la manière de gouverner le pays. Je les ai vus faire des choses qui retournaient complètement la population contre eux. »
Sa capacité à faire la part du bon et du mauvais dans un monde polarise s’applique aussi à ses geôliers américains : « Je serais heureux de qualifier certains d’entre eux d’amis », dit-il. Une femme soldat lui a donné des confiseries lorsqu’elle a découvert que les prisonniers n’avaient pas eu de nourriture le jour de l’Aïd El Fitr, la fête de la fin du Ramadan. Une telle fraternisation avec l’ennemi est un crime grave selon le code militaire US. Un autre, un vetééran du Vietnam originaire du Sud profond, dont certains camarades avaient été tortures, était dégoûté de voir son pays tomber dans les mêmes travers.Peut-être sa perspective équilibrée lui vient-elle de son éducation œcuménique. Fils d’un banquier devenu homme d’affaires, Begg a fréquenté une école primaire juive. Plus tard, son père a été lié à une femme britannique qui lui a fait découvrir Noël. À 14 ans, il était dans une bande qui se battait contre de skinheads racistes. Ce n’est qu’à la fin de son adolescence qu’il a redécouvert la religion qui allait l’inspirer, et lui causer tant de misères.


Azmat, le père de Moazzam, s'est battu sans relâche dès le premier jour pour sa libération.

Après sa capture, Begg a été conduit d’ Islamabad à Kandahar, traîné (littéralement, NdT) dans la boue, fouillé à nu et jeté dans une « cellule » faite de barbelés et pourvue en tout et pour tout d’une couverture et d’un seau. La cellule se trouvait à l’intérieur d’une écurie reconvertie avec un éclairage et un son bruyant 24 heures sur 24. Dépouillé de son identité, il ne lui restait plus qu’un numéro : le 558.
De là il a été amené dans une ancienne usine russe à la base aérienne de Bagram, où un garde lui a donné un exemplaire du livre Catch-22, portant un tampon : « Approuvé par les Forces US ». C’était un cadeau tout indiqué : comme le héros de Joseph Heller, Yossarian, Begg se trouvait face à un dilemme. Les Américains arguaient que s’il était coupable d’avoir aidé Al Qaïda, sa place était en prison; pour ses geôliers, le simple fait qu’il était détenu signifiait qu’il devait donc être coupable d’avoir aidé Al Qaïda.
Begg a accueilli avec plaisir la nouvelle qu’il allait être emmené à Guantánamo. « Les gens disaient que là-bas, on aurait des repas chauds » Plus important, disaient-ils, vous aurez des avocats. Cela a pris encore vingt mois, mais grâce à ces avocats, Begg – qui avait été désigné pour être le premier à comparaître devant les tribunaux bidon du camp – a au lieu de cela été le premier à être remis en liberté.
Si cet homme est un terroriste, il le cache bien. Et ceux qui croient encore au raisonnement à la Catch-22 ont eu beaucoup de mal à prouver leurs allégations. La vie de Begg a été disséquée sans qu’aucune preuve ait pu être produite à sa charge.
Prenez par exemple cette photocopie d’un ordre de transfert d’argent – qui aurait été trouvée dans un camp d’Al Qaïda en Afghanistan – qui est censée avoir déclenché son kidnapping. Ni Begg et ses avocats ni aucun tribunal n’a vu ce document. Il est censé établir un transfert entre filiales d’une même banque à Londres et Karachi, mais le numéro de compte, la date et le montant sont secrets. Et personne n’a pu fournir une explication plausible de la raison pour laquelle elle se serait retrouvée dans un camp en Afghanistan. Begg : “Là-bas, il n’y avait pas de banques.”
L’exemple le plus pernicieux des allégations à la Catch-22 est le fait qu’il a été arrêté dans le cadre des lois anti-terroristes britanniques lors d’une descente dans sa librairie à Birmingham en 2000. Il avait alors été relâché sans inculpation. Aux yeux de ceux qui le critiquent, cela implique que les services de renseignement le soupçonnaient déjà, ce qui donnerait du poids aux allégations qu’i l’ont fait échouer à Guantánamo. Une interprétation plus simple est que les persécutions contre lui avaient déjà commencé dans son pays, la Grande-Bretagne.

vendredi 3 avril 2009

Une proposition du président Hugo Chávez

Le président du Venezuela Hugo Chavez a dit que son pays était disposé à recevoir les détenus du bagne de Guantanamo Bay à Cuba dont le président usaméricain Barack Obama a ordonné la fermeture.
« Nous n’aurions aucun problème à prendre les êtres humains, » a dit Chavez à la chaîne de télévision arabe par satellite Al-Jazeera ce mercredi à un sommet de l’Amérique du Sud et des pays arabes à Doha, la capitale du Qatar.
Chavez a toutefois ajouté que son pays n’avait pas été invité, à ce jour, à participer aux efforts visant la fermeture du centre de détention de Guantanamo - l’un des premiers décrets d’Obama comme président.
Obama a ordonné que le camp , où sont détenus 240 prisonniers, soit fermé d’ici l’année prochaine.
Chavez espère qu’Obama libèrera tous les prisonniers de Guantanamo, et « qu’il retourne Guantanamo Bay à Cuba et en finisse avec cette misérable prison. »
Le leader vénézuélien espère également qu’Obama « fera de lui-même le dernier président de l’empire », ajoutant toutefois qu’il « nourrissait peu d’espoir » à cet égard.
De nombreux observateurs attendent de voir si Obama et Chavez se rencontreront à un sommet des Amériques qui se tiendra à Trinidad et Tobago plus tard ce mois-ci, après des années d’hostilité entre les USA et le Venezuela.

jeudi 2 avril 2009

Le Guantánamo de Calais

Discussions entre ministres français et britanniques sur l’ouverture d’un centre de rétention pour immigrants clandestins dans le port de Calais
par John Lichfield et Ben Russell, The Independent, 21/3/2009. Traduit par Courrier international, révisé par Isabelle Rousselot, Tlaxcala

Ce projet d'implanter dans le port français un centre de « détention », comme disent les Anglais, ou de « rétention », comme disent les Français, sous juridiction britannique soulève bien des questions. Londres et Paris espèrent ainsi s'affranchir des lois et traités internationaux et expulser plus facilement les demandeurs d'asile.


Londres et Paris ont engagé des discussions sur la création d'un nouveau centre de rétention pour immigrés clandestins sur les docks de Calais. Un centre qui serait un bout de territoire britannique pour tout ce qui concerne les lois sur l'immigration et permettrait de renvoyer facilement chez eux les déboutés du droit d'asile. Même si les deux gouvernements ne se sont pas encore entendus sur tous les termes de l'accord, ils comptent exploiter l'ambiguïté du statut légal de la "zone de contrôle" britannique créée en 2003 sur le port de Calais [les officiers d'immigration britanniques peuvent y effectuer des contrôles d'identité et y "pratiquer des recherches au moyen de matériels électroniques ou d'équipes cynophiles"], pour surmonter les difficultés juridiques qui empêchent actuellement l'expulsion des demandeurs d'asile vers leur pays d'origine.


L'idée – dont ont débattu les ministres de l'Immigration britannique et français en février – est de battre à leur propre jeu les demandeurs d'asile et les passeurs qui les amènent dans le nord de la France. A l'heure actuelle, les immigrants rassemblés à Calais, pour la plupart originaires d'Afghanistan, du Kurdistan et de la corne de l'Afrique, profitent des contradictions et des zones d'ombre dans les législations européenne et internationale sur l'immigration et l'asile pour éviter d'être expulsés de l'Hexagone. Peu importe qu'ils se fassent prendre à de multiples reprises ; à chaque fois, ils sont libérés et tentent de nouveau d‘entrer illégalement au Royaume-Uni.

Le centre de rétention pourrait permettre à Londres et Paris d'exploiter l'ambiguïté du statut légal de la « zone de contrôle » à Calais et de renvoyer les migrants chez eux. Si le projet se concrétise, il ne manquera pas d'attirer l'attention des organisations de défense des droits de l'homme et des libertés civiques. Celles-ci pourraient établir un parallèle entre la création de ce centre doté d'un statut extraterritorial en territoire français et la prison de Guantanamo [sise en territoire cubain, sous juridiction usaméricaine, mais dont l'"exterritorialité" lui a permis d'éviter pendant des années d'appliquer la justice ordinaire des USA]. Même si les demandeurs d'asile ne devraient y séjourner que pour une courte période et y recevraient un traitement humain, ils se retrouveraient dans un vide juridique.


La presse britannique a tourné en ridicule les commentaires du ministre, après qu'il eut essuyé le soir même une rebuffade de son homologue français Eric Besson. En réalité, Besson n'a pas démenti les propos de Woolas. Il a simplement expliqué que la France n'avait pas l'intention de construire un nouveau Sangatte – ce qui n'est pas la même chose. Le gouvernement français est furieux et embarrassé, parce que l'expression "centre de détention" a une sinistre connotation historique à l'oreille des Français. Paris préfère parler de "centre de rétention". Les termes les plus importants employés par Woolas sont passés inaperçus au milieu des railleries dont il a fait l'objet. Le nouveau centre – de détention ou de rétention – serait construit au-delà de la ligne délimitant les services d'immigration britanniques sur les quais de Calais.

Contrôle britannique et cellules de détention françaises dans le port de Calais

Changer la règle du jeu

La UK Border Agency, l'agence des frontières britannique, a également fait allusion au projet. "Nous sommes décidés à travailler avec les Français pour faire en sorte que nos frontières soient parmi les plus difficiles à franchir dans le monde, et nous envisageons toutes les possibilités", a déclaré l'agence. "Le ministre de l'Immigration a rencontré le mois dernier son homologue français pour réfléchir aux différentes options, et des discussions sont en cours sur les infrastructures à bâtir dans le port de Calais."

En 2003, la France et le Royaume-Uni ont conclu un traité sur des "contrôles frontaliers juxtaposés", dans le cadre d'un accord permettant la fermeture du camp de Sangatte. La police des frontières française opère, armée, à Douvres dans une "zone de contrôle" qui reste partie intégrante du Royaume-Uni mais qui est pour certains aspects sous juridiction française. Les agents de l'immigration britannique, eux, ont la haute main sur une "zone de contrôle" similaire sur les quais de Calais, où s'appliquent certains aspects de la loi britannique mais sur laquelle la France continue d'exercer sa souveraineté.

En fait, une fois franchie la zone de contrôle, on se trouve légalement au Royaume-Uni bien qu'étant en France. Les négociations portent donc sur le statut binational ambigu de cette zone "britannique" à Calais, première "incursion" britannique dans cette ville depuis près de cinq cents ans. [Calais a été repris à l'Angleterre en 1558.]

A l'heure actuelle, les tribunaux français refusent de renvoyer les clandestins dans leurs pays, où ils risquent la persécution. Ceux qui cherchent à entrer au Royaume-Uni ne veulent surtout pas demander l'asile en France. Car, en cas de refus de l'administration – et en vertu des traités internationaux et européens –, ils n'auraient plus le droit de déposer une demande au Royaume-Uni. Or ces candidats à l'immigration restent convaincus que ce dernier leur offre de bien meilleures perspectives que la France.

Généralement, les candidats à l'immigration arrivent sur les docks de Calais et se font arrêter avant ou après avoir pu se cacher dans un camion. Relâchés par les autorités françaises au bout de quelques jours, ils reviennent à Calais et tentent leur chance une nouvelle fois.

Au plus fort de la « crise » de Sangatte, il y avait 2000 migrants à Calais. Après la fermeture du camp en 2002, leur nombre a chuté mais il a à nouveau remonté entre 700 à 1000. L'amélioration des défenses du port a fait que moins de migrants atteignent la Grande-Bretagne. Ce qui a fait grossir le nombre et la frustration des migrants à Calais. Le nombre de bagarres entre groupes de migrants a augmenté, y compris des attaques contre les conducteurs de camions.
Les autorités françaises connaissent un accroissement de la pression populaire, notamment avec la sortie du film Welcome, pour donner une aide humanitaire aux migrants qui vivent à la dure dans la « jungle » - le maquis près du port de Calais.

Le plan franco-britannique permettra, espère-t-on officiellement, de changer la règle du jeu. Reste à savoir dans quelle mesure. Les illégaux pourraient être renvoyés dans leur pays sans relever de la loi française ou britannique – mais une telle éventualité sera contestée par les défenseurs des droits de l'homme.

Par ailleurs, un centre de rétention dans les docks permettrait aux autorités de faire pression sur les immigrants pour qu'ils demandent l'asile en France, faute de quoi on les renverrait directement d'où ils viennent.
Londres et Paris espèrent avoir suffisamment avancé sur ce dossier pour faire une déclaration commune quand le président Sarkozy et le Premier ministre Brown se rencontreront, en mai.
Chris Huhne, le porte-parole libéral-démocrate aux Affaires intérieures, a indiqué la nuit dernière que le gouvernement avait raison de chercher de nouveaux moyens de boucler la Manche mais a également averti : « Nous devons savoir sous quelle juridiction – française ou britannique – ils sont détenus et quels sont leurs droits de représentation. »

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Le camp d’Angres, dans le Pas-de-Calais. Photos association Terre d’Errance, janvier 2009